L'abbaye blanche (Bragelonne, 14 septembre) by Malot Laurent

Auteur:Malot, Laurent [Malot, Laurent]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Bragelonne
Publié: 2016-09-23T16:00:00+00:00

Les deux fois qu’il était venu rue Voltaire à Oyonnax, il faisait nuit et Gange n’avait pas remarqué le vieil immeuble, à cinquante mètres en face de la galerie. Construit en retrait de la rue, il s’ornait d’un jardin tout en longueur protégé par des grilles en fer forgé. De quoi disposer d’une vue directe, quoique discrète, sur les lieux.

Gange se gara derrière une camionnette et remonta la rue à pied. Le souvenir de son entrevue avec la vendeuse de tissus et son livreur, cette masse de muscles contrôlée par un cerveau d’huître, lui fit ralentir le pas. Croiser l’un ou l’autre risquait de compliquer les choses.

La rue n’étant pas une artère principale de la ville, la circulation y était rare. Pourtant, au moment où il s’apprêtait à traverser, un taxi déboula. Gange stoppa net en comprenant que la voiture allait s’arrêter devant la galerie. Il se baissa pour refaire un lacet. Le chauffeur déposa un client d’à peine vingt ans et repartit aussi vite qu’il était arrivé. Dans la rue de nouveau vide, Gange vit le jeune homme insérer une clé dans la porte de la galerie. Pas le temps de réfléchir – il était là pour faire du pétard. D’un bond, il traversa la rue et se retrouva derrière le jeune homme.

— Désolé, la galerie n’est pas ouverte !

La voix de fausset de quelqu’un qui se donnait des airs, sauf que ce n’était pas le moment de faire des manières.

— Je ne suis pas là pour visiter, répondit Gange en le poussant à l’intérieur.

— Qu’est-ce que ça veut dire ? Qui êtes-vous ?

Plutôt nerveux, sur le qui-vive, et le teint blême comme s’il allait tomber dans les pommes. C’était aussi bien comme ça. Gange ne se rappelait pas l’avoir vu le soir du vernissage, mais le gamin lui disait quelque chose.

— Je vous ai posé une question !

— Tu en as posé deux et je ne vais répondre à aucune. Toi, par contre, tu vas me dire qui tu es et ce que tu fais ici.

— Je suis Julien Jourdan, fils de Pierre Jourdan, le propriétaire de cette galerie !

À part le nom et l’air méprisant, le fils n’avait rien de commun avec son père. Plutôt grand et maigre, il maîtrisait mal des tics à l’œil gauche et au coin de la bouche. Sa voix avait du mal à trouver son timbre. C’était peut-être l’émotion, mais Gange pariait plutôt pour une mue tardive. À part ça, il portait le genre de vêtements de la famille, du sur-mesure hors de prix qu’il ne s’était sans doute pas payé en animant des centres aérés.

— Très bien. Comme tu n’es pas de taille, tu vas gentiment faire ce que je te dis et tout ira bien. Tu imprimes ou il faut que je répète ?

Le regard fuyant du môme indiqua à Gange qu’il avait parfaitement saisi.

— Pour commencer, dis-moi ce que tu fais ici !

Silence aussi long qu’une file d’attente à la poste. Pas exactement ce qu’escomptait Gange – d’autant que,

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